Etat des lieux
Pourquoi ce genre de conflit n’arrive qu’en France ?
Voici une question sur laquelle je suis tombée en picorant l’actualité sur mon fil d’actualité sur les réseaux sociaux. Cette question à la tournure un peu innocente, est pourtant à mon sens, d’une grande pertinence. D’ailleurs, depuis le début des événements, je la trouve la plus pertinente, si ce n’est la question centrale.
Dans cet article, je souhaite donc, avec un peu de recul, partager quelques bribes de réflexions que j’ai pu enrichir au contact de mes fréquentations et de mes échanges depuis le décès du jeune Nahel et le début de la révolte des jeunes des banlieues françaises. Toute ma gratitude et reconnaissance au passage, aux proches, amis et aux collègues avec qui j’ai échangé depuis le début de ces événements malheureux. Merci à chacune et à chacun pour vos éclairages, vos avis et autres points de vue.
Je me sens torturée, pour ne pas dire révulsée par les évènements récents, comme j’ai pu l’être d’ailleurs quand des faits similaires se sont produits dans notre pays. Pour autant je n’arrive pas à cerner véritablement, ce qui me gêne le plus dans tout ce qui se déroule sous nos yeux ces derniers moments. J’ose croire que les problèmes pour ne pas dire « le mal français », sont souvent bien plus profonds qu’on ne veille le reconnaitre. Nous avons juste accès à la partie visible de l’iceberg. C’est la raison pour laquelle ce « mal profond » n’est pas perceptible de prime abord.
Tentons donc de sonder la racine du mal qui touche notre pays et trouble particulièrement notre jeunesse par l’ampleur de ses conséquences.
L’analyse qui suit n’est pas le fruit d’une simple réflexion personnelle mais l’aboutissement de réflexions contradictoires et d’échanges soutenus avec mon entourage proche.
Ces événements récents nous imposent à tous, de répondre ou d’essayer de répondre à plusieurs interrogations. En effet, comment sommes-nous arrivés à une situation aussi explosive et presque ingérable ? Pourquoi nos autorités semblent dépasser par les événements ? Quelles sont les causes profondes de la colère des jeunes de la banlieue ? Que revendiquent-ils au juste ? La colère justifie-t-elle les violences auxquelles nous avons été tous témoins ces derniers jours ? Y’a-t-il possibilité de renouer un dialogue et une relation de confiance entre la jeunesse des banlieues et les autorités notamment la police ?
Il faut reconnaitre d’emblée, qu’il serait prétentieux de répondre à toutes ces problématiques dans le cadre d’un simple article de blog. Toutefois, nous allons tenter de comprendre la situation globale et de proposer des bribes de solution tout en se désolidarisant de tous discours haineux qui n’invitent pas à la réflexion mais l’embolisent.
Pour commencer, rien de mieux que de nous référer au passé pour mieux comprendre le présent. L’histoire a, en effet, beaucoup à nous apprendre. Spontanément je pense à la prise de la Bastille, symbole de la révolution française dont l’histoire nous conte de façon héroïque comment le peuple a su renverser l’ordre monarchique, afin d’arriver à plus d’égalité. En effet, lorsque LOUIS XVI, roi de France accède au trône en 1774, succédant à son grand père LOUIS XV, il a instauré une monarchie absolue, donc une société inégalitaire construite autour de trois ordres : en dessous de la noblesse et du clergé, on avait le tiers état composé des paysans, d’artisans, de bourgeois et de domestiques. Ce tiers Etat ne bénéficiait pas des privilèges des deux autres ordres. Louis XVI tente des réformes, proposées par ses ministres et inspirées de l’esprit des Lumières, mais hésite de les mettre en œuvre. Il butte en réalité devant la résistance des privilégiés, de la cour et du Parlement de Paris. Ainsi, les origines de la révolution française ont été multiples. Elles sont d’ordre social, économique et politique. Les événements de 1789 furent de fait une conjonction de plusieurs facteurs conjoncturels et structurels. Les années qui ont précédé la révolution sont marquées par un climat social tendu ainsi qu’une défiance croissante du peuple à l’égard de la monarchie absolue. C’est, ce à quoi nous assistons aujourd’hui, si l’on ose faire un tel parallèle.
A l’instant où j’écris ces lignes, notre pays va mal économiquement, socialement et politiquement. Les catégories les plus touchées par cette crise généralisée restent celles des zones populaires. Les révoltes violentes que nous avons observées ces derniers temps, sont en partie, le résultat ou les conséquences de la détresse, de la misère et du désespoir incarnés par une inflation galopante qui désoriente chaque jour un peu plus.
Pour autant, tout saccager sans discernement, est-il la solution ou simplement ajoute des maux aux maux ? Même si, au demeurant, on peut comprendre que lorsque la situation devient intenable, le désespoir nous conduit à des actes irrationnels. C’est la seule explication possible à cette violence insensée des jeunes dans la mesure où elle ne fait qu’empirer leur situation déjà déplorable.
En revanche cette fois, nous avons l’impression qu’en plus de la misère aggravée par une conjoncture inflationniste, une crise identitaire vient amplifier le caractère dramatique de la situation à l’image de l’enfant qui se fait remarquer par ses parents en commettant des bêtises. Les enfants de la République rappelle à l’ordre, avec une colère qui s’est muée en violence, la mère patrie à ses responsabilités. En effet, il faut reconnaitre que le passif dure depuis presque trois générations. Ces jeunes des quartiers populaires marginalisés rappellent ainsi à la république, de manière maladroite, qu’ils ne peuvent ou ne veulent plus être considérés comme ses enfants illégitimes.
Il est temps, que tous ensemble, nous déplorons la violence sous toutes ses formes et qu’ensemble nous nous engageons à réparer ce qui peut encore l’être. Nous ne pouvons plus continuer à vivre dangereusement côte à côte, une situation, qui pourra à terme se muer en face à face. Cette frange révoltée de la jeunesse est en quête de reconnaissance. Au même titre que l’on peut être excédé par un enfant turbulant, nous allons utiliser le procédé de l’éducation bienveillante en interrogeant ce que ces actes viennent bouleverser en nous.
Dans une république démocratique, il est inacceptable de tolérer des inégalités injustes. Cette manière de faire met à mal et ébranle l’édifice de notre système de valeurs. Pour ma part, cette incohérence avec les valeurs et les soubassements de la nation est absolument grave. Mon désir d’ordre et de respect de la loi sont bouleversés en profondeur. Cela reste mon ressenti.
Poussons un peu loin notre analyse de la précarité qui touche nos jeunes des milieux populaires et qui les perturbe profondément. Nous pensons que certains de ces jeunes considèrent même leur vie comme sans valeur et sont convaincus qu’ils n’ont aucun avenir dans une république qui ne veut pas d’eux. Nous percevons cette réalité dans certains de leurs discours et de leurs chansons de Rap qui dénoncent pêle-mêle les injustices qu’ils subissent au quotidien.
Quelles sont les moyens et les pistes qu’il faut privilégier pour dénouer les crises qui se suivent et se ressemblent d’ailleurs depuis 2005, et créer un climat d’apaisement dans les banlieues ?
Il est impératif, dans un premier temps de travailler de façon apaisée sur le passé douloureux que nous avons en commun. En effet, il va falloir reconnaitre et accepter que les conquêtes coloniales se sont réalisées dans la violence et parfois, n’ayons pas peur des mots, dans une forme de barbarie. Reconnaitre cela, ce n’est pas humilier la république, c’est un acte de responsabilité et c’est contribuer à pacifier notre passé commun. Reconnaitre ce qui fait mal au concitoyen à travers sa mémoire, c’est une forme de réparation symbolique. Ces descendants de l’ancien colonisé n’ont pas choisi de naitre sur le territoire de la république ; c’est la république qui est allé chercher leurs parents. Il s’agit là d’un fait qu’il ne faille jamais oublier.
La France doit reconsidérer son histoire coloniale. Rouvrir les archives ne se fera pas sans mal, mais il s’agit pourtant d’une nécessité absolue.
Certains se posent la question suivante : « pourquoi la France subit un tel retour de bâton et pas les autres pays comme l’Angleterre, l’Italie, la Belgique, qui eux aussi, ont colonisé » ?
Une réponse possible est que : « peut-être la France est la seule à ne pas avoir quitté véritablement l’Afrique et en profite encore à travers le fameux système de la « françafrique ». Le franc CFA, toujours en vigueur dans plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest est une belle illustration. Nous n’avons pas connaissance de l’équivalent de cette monnaie dans les autres nations qui ont colonisé par le passé. Avec la France, nous avons l’impression que la colonisation est un passé encore trop présent. Elle se sent toujours en position de force dans certains pays, et est directement encore impliquée dans la politique intérieure de quelques pays dits stratégiques comme le Tchad où le fils Déby a pris la place du père assassiné, et qui s’est vu félicité par le président français actuel, pour ne citer que cette situation. »
Pour conclure, à travers tout ce qui vient d’être relaté, j’oserais parler de mal-être transgénérationnel qu’il va falloir enrailler. A défaut, le conflit larvé restera encore vif dans la mémoire collective et les crispations seront toujours présentes et vivaces. Ce qui ne va guère dans le sens de la cohésion sociale tant souhaitée par nos politiques et d’un mieux vivre ensemble.
L’histoire est un perpétuel recommencement !
THUCYDIDE, Historien grec
Mahany
Très belle analyse. Blacks lives matters… c’est le même combat.
Bougeons les lignes, c’est tout…
Oui c’est l’équivalent français « la vie de nos jeunes de banlieue compte tt autant »
Merci pour cet article très pertinent il serait temps de considérer la jeunesse des quartiers populaires !
Oui, il serait temps de faire le nécessaire pour que chacun se sente à sa place dans cette nation. Je ne désespère pas, j’y crois encore.